Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Émotion ou communication

20 Décembre 2017 , Rédigé par la-sentence-du-vide Publié dans #Mots libres

Communiquer sainement sur l'émotion est une des choses les plus difficiles.
Communiquer intelligemment dans l'émotion est une chose impossible.
C'est lorsque l'émotion est prégnante que l'intelligence et la capacité de recul, d'analyse pragmatique disparaissent. Le débat intellectuel appelle le débat intellectuel. La communication émotive appelle le court-circuitage de toute capacité de raisonnement. C'est alors une communication analogique qui se met en place : celle des sens, du ressenti, de l'émotion. De l'interprétation aussi et surtout. L'émotion nous est fondamentale. Elle grave le souvenir, donne un sens et permet de différencier le mal du bien. Mais elle modifie aussi notre perception et nous force à voir parfois des choses qui n'existent pas sous la forme dont nous croyons les appréhender. Pourquoi ? Et qu'y faire ?

Lorsque l'on veut faire taire ses émotions et ne pas les exprimer, on creuse le trou dans lequel on va tomber. On a tous une capacité de gestion, de "contrôle temporaire" de certaines émotions. On dispose donc d'une marge de manœuvre pour taire certaines choses. Mais croire cette capacité extensible et sans limite est s'ignorer, se nier. C'est une erreur lourde qui se paye à moyen terme par des phénomènes de repli, de saturation, et finalement de décompensation. Dans ce contexte les émotions les plus petites, ajoutées à celles précédemment ingurgitées et refoulées finissent par se transformer en crises majeures : paniques, scénarios catastrophes, etc. La réalité est souvent toute autre mais nous ne disposons plus des moyens émotionnels pour distinguer "le mal du bien". Les faits peuvent être bénins et seraient jugés de faible importance dans le contexte d'un individu qui a exprimé et ventilé ce que lui demandait son corps émotionnel.

Nos schémas émotionnels stockent des émotions dans différents registres. Celui de la peur est un des plus puissant. On devrait d'ailleurs parler de peurs plurielles. La peur d'être abandonné. La peur d'être trahi. La peur d'échouer. La peur d'être rejeté… Chaque peur a son masque et un schéma émotionnel particulier. Les peurs sont des contenants émotionnels qui se remplissent et sont extrêmement résistants au temps et à la mémoire consciente. Chacun rempli ses propres conteneurs avec sa réceptivité et l'aiguillage que son vécu a déjà imprimé dans son corps.
Si par exemple j'ai déjà éprouvé la peur du vide, je remplirai en priorité le conteneur "peur du vide" en présence de l'élément "vide". Si ce conteneur n'existe pas en moi, j'ignore si j'aurai peur mais je ne remplirai pas davantage quelque chose qui n'existe pas. Le conteneur spécifique "peur du vide" n'existe qu'en moi et ne me gêne pas pour vivre chaque jour. Comme celui de la claustrophobie, de l'arachnophobie et tant d'autres. Mais en présence du vide, c'est mon corps qui me rappelle son existence. Ceux qui éprouvent des phobies savent combien il est difficile de vider son corps des jambes qui tremblent, des sueurs froides, des vertiges qui paralysent. Il est des "boites à peur" plus solides encore comme les traumas ou les schémas affectifs imprégnés dans l'enfance… Celles là sont parfois méconnus de nous même —car oubliées et cachées par le subconscient— et ne se manifestent que dans nos rapports humains lorsqu'elles sont réactivées par des faits d'importances diverses. Parfois ce sont même des faits bénins.

Alors comment s'en sortir ? Comment faire au mieux pour exprimer sainement ses émotions et ne pas remplir à outrance nos "boites à peurs" ?

Déjà, ne pas être fainéant. Ni laxiste. Lorsque l'on sent qu'une émotion devient difficile à exprimer, c'est qu'il est déjà tard et que l'on a trop attendu. J'ai remarqué chez moi qu'il était assez simple de formuler simplement, sans agressivité, une peur, une rancune à partir du moment où je l'ai conscientisé. Par contre je sais que si je suis laxiste et que je me dis que finalement "ce n'est pas important ni grave", je suis dans le déni d'une "décharge émotionnelle" réclamée par mon corps. Et plus j'aurai cette attitude de repli et plus le sentiment à exprimer sera lourd et difficile à extraire. Le conteneur se remplira et il sera d'autant plus lourd à déplacer pour le vider.

On trompe son esprit, mais pas son corps. Le poids des angoisses d'abandon, de rejet, d'injustice prennent souvent les traits de l'écœurement, d'incapacités à remplir le corps —le ventre—. Les boites émotionnelles sont pleines et le corps est à leur image : impossible à remplir davantage. Le corps refuse aussi de se reposer, de laisser facilement le subconscient "prendre la main" en l'empêchant de faire son travail de "grand nettoyeur". Le corps veut "vider les boites du corps"…

Il faut réaliser avec acuité ces phénomènes pour combattre ce laxisme qui consiste à ne pas exprimer à minima des émotions, même bénignes. Car il faut bien en mesurer les conséquences potentielles ultérieures. Ce qu'elles peuvent freiner dans notre plaisir de vivre. Ce qu'elles peuvent engendrer de conflictuel dans nos rapports humains.
Comme dans bien d'autres cas, la prévention n'est elle pas meilleure que la guérison ?

Certes, ce n'est pas sous le coup de l'émotion, surtout si elle est vive, que l'on peut exprimer avec le moins de risque de dommages collatéraux. L'idéal semble être de laisser passer le "pic émotif" pour pouvoir formuler —ou reformuler— avec un léger temps de retard. Cela permet souvent de revendiquer calmement et sans agressivité un besoin ou une frustration avant qu'elle ne se change au fil du temps en un autre sentiment plus dévastateur comme la peur, la vengeance ou l'agressivité. Cela permet aussi de remettre un peu de "sens" et d'intelligence, d'analyse dans la situation subie ; de la dédramatiser, de la comprendre. Je suis certain que l'on peut arriver à confier une blessure avec bienveillance à celui qui nous l'a fait subir. Une des conditions : qu'elle ne soit pas trop profonde...

Et lorsque "libérer pacifiquement" n'est pas, n'est plus possible, alors il faut quitter le débat. La situation symétrique qui consiste à "faire subir" pour libérer n'amène jamais rien de bon. Elle ne défoule pas réellement le corps : c'est un subterfuge pour soigner l'égo mais pas le corps. Evidemment qu'il faut revenir plus tard sur ce qui n'a pas pu être communiqué : dit ou entendu. Mais il faut dans l'état émotif de tension présent et subit, parvenir à défouler et à transférer temporairement la charge émotionnelle. Ce n'est que le corps qui peut soulager et décharger. Marcher, courir, crier… peu importe le moyen tant qu'il reste pacifique et qu'il décharge la tension.

Le pire est toujours "d'avaler" et de prétendre que l'on est au-dessus de ce qui vient de se passer. Car si l'esprit peut prétendre à se libérer, le corps non. C'est lui qui garde la trace du préjudice et qui le renverra physiologiquement. C'est lui, la "boite qu'on remplit".

Communiquer, c'est donc d'abord parler de soi et de ce que l'on ressent. En le faisant on se met à la portée de l'autre. On "prouve son humanité". On est humble. Dire ce que l'on ressent sans accuser. Il n'y a pas de honte ni de guerre à indiquer que l'on éprouve une douleur et qu'on l'associe à un fait. Indiquer une source de blessure n'est pas rendre l'autre responsable de celle-ci même si c'est son action qui est déclenchante. Il faut être conscient là encore qu'un de nos "container" associé au fait mal vécu peut avoir été rempli préalablement dans d'autres situations, parfois très anciennes et que le fait ponctuel peut être un simple élément réactivateur. Mais c'est difficile.
C'est alors quà deux on peut chercher la source de la blessure. On peut "méta-communiquer" : communiquer sur cet échange qui fut source de malaise, de blessure. C'est alors que la blessure qui aurait pu être source de distension peut devenir source de complicité dans sa réalisation. Le niveau de communication passe de la mésentente à une forme d'échange complice, altruiste qui est générateur de confiance.

Communiquer c'est prendre le temps de s'écouter et d'exprimer.
Prendre le temps d'écouter l'autre sans s'offenser ni l'offenser.
C'est être sincère mais prévenant. Et courageux.
C'est chercher à comprendre ensemble pour agir conjointement.
Communiquer c'est être profondément humain et humble.

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article